La communication véritable avec un manipulateur est impossible, car il n’est pas capable de communiquer de façon simple, authentique, claire et saine avec autrui.
En effet, la manipulation est le seul moyen de communication qu’il connaisse, aussi se complait-il dans une communication ambiguë en faisant usage de toute une série de techniques pour la dévier de son objectif premier, la bloquer ou la fuir. Paradoxalement, c’est lui-même qui va affirmer que vous communiquez mal.
« Le mode de perception du manipulateur et ses processus cognitifs sont perturbés dans le sens pathologique du terme. Vous ne cessez de vous interroger sur l’irrationalité du raisonnement de ce partenaire » (Isabelle Nazare-Aga, Les manipulateurs et l’amour).
SOMMAIRE
- Il refuse la communication directe
- Il déforme le langage
- Il ment
- Il manie le sarcasme, la dérision, le mépris et disqualifie
- Il use du paradoxe
- Il divise pour mieux régner
- Il impose son pouvoir
- En bref
IL REFUSE LA COMMUNICATION DIRECTE
De façon subtile ou franchement évidente, le manipulateur fuit toute discussion qui le met dans l’embarras, d’autant plus que pour lui, c’est également une ruse habile qui peut lui permettre d’aggraver le conflit tout en l’imputant à l’autre, mais aussi, qu’on lui prête grandeur et sagesse par son silence.
Pour fuir ouvertement une discussion, le manipulateur use de toute une série de stratégies dont voici quelques exemples :
- Il arrive en retard : la majorité des manipulateurs ne respectent pas la ponctualité et se font attendre;
- Il est absent alors qu’il a promis de venir;
- Il refuse de consulter un thérapeute conjugal avec vous ou il vous y accompagne pour une première séance puis vous convaincre de l’incompétence du professionnel afin de ne plus y retourner;
- Il s’échappe physiquement en pleine discussion en changeant de pièce ou en sortant faire un tour;
- Il raccroche soudain le téléphone;
- Il arrête subitement une conversation avec vous, surtout lorsque c’est vous qui êtes en train de parler;
- Il s’intéresse à autre chose lorsque vous prenez la parole, par exemple en téléphonant à quelqu’un d’autre;
- Il remet toujours à plus tard en inventant de nouvelles excuses;
- Il boude avant que le débat ne soit clos : c’est une technique très courante du manipulateur. Il est capable de bouder des heures voire des jours entiers sans que vous en connaissiez la réelle raison or, il vous affirmera l’inverse. C’est pour lui un excellent moyen de vous culpabiliser;
- Il ne se manifeste uniquement de façon non verbale : haussement d’épaules, soupirs, regards désapprobateurs, yeux en l’air, sourires ironiques, froncements des sourcils, etc.;
- Il affirme détester les conflits. En réalité, il les provoque. Il justifie ainsi sa non-participation au débat qui vous tient à cœur.
En outre, il utilise d’autres moyens plus subtils pour fuir la discussion authentique, notamment pour résoudre les problèmes. Ceux-ci sont explicités dans les points suivants.
IL DÉFORME LE LANGAGE
- Il répond évasivement de manière délibérée, entretenant ainsi la confusion;
- Sans porter d’accusation claire afin de ne pas se compromettre, il utilise des allusions voilées et insidieuses qui, finalement, vont réussir à semer le doute, mais aussi induire des sentiments, des réactions, des actes, ou, au contraire, les inhiber (cf. art de l’induction);
- Il entretient un discours paradoxal.
Un outil de choix pour l’apprentissage de la parole floue est l’hypnose ericksonienne. Milton Erickson, un grand psychiatre américain, a développé une nouvelle façon de faire de l’hypnose, fondée sur une communication subtile avec l’inconscient, appelée selon les cas hypnose non directive ou hypnose conversationnelle. Un des principes de cette méthode d’induction est l’utilisation d’un discours au contenu délibérément vague, permettant à l’inconscient d’y placer son propre contenu.
- La lecture de pensée : l’attribution à l’interlocuteur des pensées, des projets ou des intentions, de préférence à connotation négative et péjorative. L’objectif n’est pas forcément de convaincre l’interlocuteur, mais bien de le mettre dans une situation qui ressemble à une injonction paradoxale, où il sera contraint à se positionner de votre côté, qu’il le souhaite ou non. La cible se retrouvera donc en situation de faiblesse. Le caractère légèrement agrammatical de l’énoncé aide en plus à générer de la confusion chez votre interlocuteur, ce qui est excellent. L’objectif est de mettre l’interlocuteur dans une position difficile, qui le pousse à se livrer, tout en restant soi-même hors d’atteinte. La cible se sentira déséquilibrée, décentrée, ce qui pourra le pousser à perdre son sang-froid et à commettre des erreurs, par exemple en vous attaquant brutalement. Dans l’idéal, il en arrivera aux attaques personnelles, que le cibleur accueillera évidemment de haut, avec la magnanimité, la surprise qui sied. Même si un observateur peut soupçonner le cibleur d’être sournoisement à l’origine du conflit, le moyen aura été si dissimulé que l’impression qui en ressortira, plus forte que les autres, sera cristallisée dans la violence de votre interlocuteur. Ces soupçons seront balayés par l’évidence de sa réaction agressive, parce qu’il est inenvisageable de privilégier l’affectif à la rationalité ;
- La nominalisation est largement utilisée pour donner l’illusion de la création de sens. Pour cette raison, il y a de fortes chances que la cible se jette dessus, qu’ils investissent leur imaginaire et vous accompagnent de leur plein gré dans le tour de manège sans vie dont ont a habilement vendu le billet. Ainsi, la voiture est bruyante deviendra le bruit de la voiture. Il en est de même pour les termes tels que : crise, choc des civilisations, dérives identitaires, insécurité, développement durable;
- La causalité : c’est un lien de cause à effet entre un élément et ses conséquences, que le cibleur énoncerera avec une attitude mesurée. Il s’agit ici de s’appuyer sur des raisonnements aux apparences sérieuses, et dont on aura construit la cohérence de surface à l’aide de procédés de déviation intellectuelle comme la distorsion, l’omission ou la généralisation. On s’exerce donc comme les sophistes grecs de l’Antiquité, à démontrer et à prouver n’importe quoi, quelle que soit votre opinion. Que le raisonnement soit juste est accessoire. En statistiques, on fait nettement la différence entre corrélation et causalité. La corrélation est une donnée observable : on peut démontrer par des données statistiques que deux variables évoluent en même temps, de façon parallèle. Par contre la causalité est une interprétation de ces données, une conclusion tirée par l’observateur. ;
- La présupposition : le cibleur fait en quelque sorte une affirmation cachée que l’expression indirecte permet au psychisme d’accepter telle quelle. Par exemple, « Ils ont encore amélioré la qualité de leur service. » Cela implique que leur service était déjà de bonne qualité. Une autre forme de présupposition est l’utilisation du faux choix : en présentant une alternative, le cibleur donne l’illusion du choix, alors que vous aurez bien entendu pris soin de faire deux propositions qui vont dans votre sens et qui ne présentent aucune réelle différence. Pour ce faire, vous pouvez jouer sur des choix de temps, de lieu, de circonstances, tous illusoires.
Un procédé verbal habituel du pervers afin de vous déstabiliser est d’utiliser un langage très technique, sophistiqué, voire abstrait et dogmatique : ses formulations, ses mots, ses syntaxes sont incompréhensibles. Plus les mots sont savants, plus les syntaxes sont tordues, moins vous saisissez ce qu’il vous dit et votre argumentation ne peut donc plus rebondir sur un argument concret.
Ce procédé consiste au manipulateur à nommer les intentions de l’autre ou à deviner ses pensées cachées, comme s’il était le mieux placé pour les connaître :
- Il interprète, il transforme ce vous dites et vous prête de fausses intentions;
- Il projette, c’est-à-dire qu’il vous accuse d’avoir un comportement ou une intention qui corresponde davantage à ses comportements ou à ses intentions à lui, par exemple : « Avoue que tu as un amant ! » alors qu’il ou elle vit ou désire une relation extra-conjugale.
PRÊCHER LE FAUX POUR SAVOIR LE VRAI
Cette tactique est mise au point par le manipulateur pour vous surveiller et vous tirer les vers du nez.
La pratique la plus courante consiste à transformer une supposition en affirmation ou à poser une question incluant un élément erroné, par exemple : « Ta sœur a bien fait de vendre sa voiture à ton frère. », vous répondez « Elle lui a donné la voiture, elle ne lui a pas vendue ! » et le tour est joué, le manipulateur se demandait si le frère avait maintenant assez d’argent pour s’acheter une voiture d’occasion. La véritable question est d’autant mieux diluée quand la conversation est légère et positive.
(Isabelle Nazare-Aga, Les manipulateurs et l’amour)
IL MENT
Certes, le manipulateur ou le pervers est un menteur invétéré, cependant il ne ment pas à tout propos. Le plus souvent, il effectue de sensibles falsifications de la vérité ou en omet une partie. Cette désinformation volontaire mêlée de mensonge et de sincérité est très déstabilisante pour l’interlocuteur. Et si vous découvrez la vérité, il va tenter de retourner la situation pour vous convaincre que vos preuves n’en sont pas.
IL MANIE LE SARCASME, LA DÉRISION, LE MÉPRIS ET DISQUALIFIE
Cette attitude crée très rapidement une atmosphère désagréable, elle permet de faire tomber la méfiance et surtout, d’éloigner la discussion du propos initial, par exemple : lorsque vous exprimez de la colère, il dit soudain une phrase du type « Eh, t’as de beaux yeux tu sais. » Où « T’es belle quand tu es en colère. »
« La communication perd son sens, elle est pervertie pour se muer en une arme de contrôle et de pouvoir sur vous. L’impact psychologique des mots est phénoménal, des petits mots peuvent traduire une grande violence, ils résonnent en nous comme le ferait un coup de marteau sur la tête » (Isabelle Nazare-Aga, Les manipulateurs et l’amour).
Certains manipulateurs utilisent les mots au service de l’humour et en font généralement profiter la galerie en public, or, dans l’intimité, cet humour devient sarcastique et ironique sur les autres et particulièrement vous. Leurs allusions caustiques, voire misogynes, reflètent bien une vérité très violente et masquée.
Aussi, ces railleries consistent à ne pas donner aux mots leur valeur réelle ou complète, ou à faire entendre l’inverse de ce qu’on dit , dans son livre, Les manipulateurs et l’amour, Isabelle Nazare-Aga cite:
« Ainsi, dire quelque chose dans l’intimité et laisser entendre le contraire en public, faire ressentir de la tension, de l’hostilité sans que rien en soit clairement exprimé, représentent des armes efficaces. Il est donc naturel que le conjoint ciblé par ces attaques sournoises y réagisse le plus souvent avec agressivité. Le manipulateur s’empresse alors de le qualifier de “susceptible”, “d’hypersensible”, de “parano” ou “dénué d’humour”. La moquerie semble beaucoup exciter les personnalités narcissiques sauf si celles-ci leur sont adressées bien sûr.
Le manipulateur impose une communication au service de la dévalorisation, il ridiculise le partenaire en public, se moque de ses convictions, de ses goûts, de sa religion, de ses origines, de son aspect physique, etc. Déprécier autrui implique un but paradoxal, la gratification personnelle du manipulateur ou du pervers.
Parmi toutes les expressions dévalorisantes, citons quelques exemples retenus par les témoins : “Tu es un despote, un égoïste, une femme facile, une salope, ou encore une putain.”
- Les insinuations : “Si tu as raté ta vie avant, c’est pas pour rien !”
- Les jugements définitifs : “Pauvre impuissant”, “T’es une mauvaise mère.”
- Les questions ironiques : “Comment est-ce possible d’être aussi bête ?”
- Les surnoms méchants : “La grosse.” Se suivent et se ressemblent, la liste est longue.
IL USE DU PARADOXE
Le manipulateur ou le pervers se complaît dans l’ambigüité et est doté d’un talent inégalable pour retourner les situations. Ainsi, il nous communique ses besoins, ses jugements sur nous et sur autrui ainsi que ses opinions sur le monde, mais il les change constamment selon les personnes et les situations qu’il rencontre. Il lui est aisé de modifier avec conviction ce qu’il affirmait il y a quelques jours, voire quelques minutes afin de semer le doute et la confusion dans l’esprit de sa victime.
Si cette dernière fait part au manipulateur de son incohérence évidente, il niera farouchement, et ce, même en présence de témoins, qui par ailleurs sont rares. De plus, il est tout à fait capable d’accroître ce sentiment d’incompréhension suscitée auprès d’elle en l’accusant de mal interpréter ses propos ou en la qualifiant de personne instable.
Ses messages paradoxaux, doubles et obscurs, bloquent la communication et place sa victime dans l’impossibilité de fournir des réponses appropriées, puisqu’elle ne peut comprendre la situation. De cette manière, le manipulateur va épuiser la victime à trouver des solutions qui seront par définition inadaptées et rejetées par le manipulateur pervers dont elle va susciter les critiques et les reproches. Quelle que soit la résistance de la victime, elle ne peut éviter l’émergence de l’angoisse ou de la dépression. (voir Marie-France Hirigoyen, “Le Harcèlement Moral”, p. 111).
Un message paradoxal est la verbalisation deux messages simultanés, le deuxième contredisant le premier. La forme la plus fréquente sous laquelle on trouve, des injonctions (ordres) paradoxales sont celles qui exigent de l’autre un comportement, qui, par sa nature même ; ne saurait être que spontané et dont l’exemple type est “Soyez spontané !”.
L’injonction paradoxale est un ordre impossible à exécuter dans les termes, un ordre incongruent plaçant le récepteur dans une situation angoissante. Inconsciemment , le sujet se trouve donc face à deux situations contradictoires, existant dans son psychisme à des niveaux différents. La cible est ainsi bloquée dans une situation intenable, sans issue. Les injonctions paradoxales peuvent être utilisées, avec prudence, afin de contourner ou de développer chez le sujet une résistance. Mais la métacommunication peut être refusée par le supérieur hiérarchique – qui détient le pouvoir du dernier mot – et peut retourner cette tentative contre le subordonné en lui reprochant par exemple son incompétence ou son manque de bonne volonté.
La première étude publiée sur le paradoxe pragmatique est l’article fondateur de l’école de Palo Alto : Vers une théorie de la schizophrénie, coécrite par Bateson et ses collaborateurs et parue en revue en 1956. L’équipe de Bateson a émis l’hypothèse que l’individu développait des symptômes de schizophrénie en réponse à des situations interactionnelles paradoxales. Pour eux, la schizophrénie était donc une solution trouvée au paradoxe, et une forme encore plus forte de paradoxe, doublement bloquante, qu’ils ont appelée la “double contrainte” (double bind). La double contrainte est un paradoxe pragmatique où une injonction est donnée, accompagnée par une injonction sur cette injonction, d’un niveau plus abstrait, et que l’une et l’autre sont contradictoires – autrement dit, il faut y désobéir pour y obéir –, le tout souvent couronné d’une affirmation sur le paradoxe créé, qui empêche encore plus sa victime d’en sortir. La double contrainte est la forme la plus perverse du paradoxe, parce qu’elle implique non seulement une impossibilité de sortie, mais de plus, une opposition entre deux injonctions également importantes pour le psychisme ou la survie du sujet. Elle enferme ainsi solidement sa victime. Quelque chose comme : “Si tu m’aimes, fais ceci. Mais si tu fais ceci, cela veut dire que tu ne m’aimes pas.” Et enfin, en couronnement : “Quoi, tu ne sais pas faire un choix ?”
IL DIVISE POUR MIEUX RÉGNER
Diviser et cloisonner ses relations est un art dans lequel le manipulateur excelle, et ce pour plusieurs objectifs :
- Par prudence afin que ses victimes ne puissent par recouper ses mensonges ou qu’elles ne puissent pas s’allier contre lui;
- Provoquer des conflits entres elles et en tirer un réel plaisir à y assister, mais aussi, gagner en puissance face à celles-ci, car elles en sortent fatalement affaiblies.
Pour ce faire, il les monte les unes contre les autres en provoquant des rivalités ou de la jalousie, ou encore d’autres sentiments négatifs, et ce, au moyen de mensonges et de médisances.
IL IMPOSE SON POUVOIR
Le manipulateur est persuadé détenir la vérité absolue, il ne dialogue pas, il monologue sur ses idées préconçues. C’est aussi une façon sournoise de ne pas à avoir à débattre intelligemment, par ailleurs, lorsque vous lui soumettez votre avis il n’hésite pas à vous coupez la parole ou il adopte une attitude désintéressée, ou encore une attitude désapprobatrice en faisant “non” de la tête ou en roulant les yeux en l’air.
En outre, il est parfaitement capable d’inventer des proverbes, faisant ainsi glisser le propos initial du particulier au général.
Et enfin, bien que son discours énonce des propositions qui paraissent des vérités universelles, la plupart du temps le manipulateur a tort, ses postulats de départ sont souvent erronés. Malgré cela, il sait maintenir sa victime en position de respect, et ce, grâce à son assurance, son attitude pédante, mais aussi en se projetant, exemple : il ne dira pas “Je n’aime pas cette personne » mais plutôt “Celui-là est un imbécile, tout le monde le sait… comment ne pourrais-tu pas le voir !?”.
EN BREF
« Le harcèlement psychologique est d’une violence inouïe. La communication avec un manipulateur ou un pervers prend des allures de chemin labyrinthique, impossible de trouver la sortie. Cette communication est tellement tordue que vous vous demandez si vous ne devenez pas fou ou folle. » (Isabelle Nazare-Aga, Les manipulateurs et l’amour).
Voici une comparaison du schéma d’une communication saine et celui d’une communication avec le manipulateur :
- Il y a un vrai débat;
- Il y a un sujet ouvert au conflit;
- Il y a des éclats de voix;
- Énervement de la part des 2 parties;
- Il y a conciliation;
- Il y a des excuses.
- Le vrai débat n’existe pas;
- Le manipulateur n’évoquera jamais le sujet réel du conflit au contraire il le nie;
- Il n’y a pas d’éclat de voix de la part de l’agresseur;
- Le manipulateur ne s’énerve pas, mais se moque de la colère de l’autre et le tourne en ridicule;
- Il n’y a pas de conciliation;
- Il n’y a pas d’excuses.
Source : Hirigoyen, Marie-France,. (1998). « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien », La Découverte et Syron, ISBN : 2-266-09243-X.